Le « Bigos » est le plus polonais des plats. Il est considéré comme la spécialité historique polonaise la plus traditionnelle. Mais aussi comme le plat des fêtes et des grandes occasions. En ce sens, il rappelle le « pozole » du Mexique. Ce plat se mange lors de chaque grande circonstance familiale : pour Noël, les baptêmes, les mariages. Car chaque jeune mariée se doit de posséder sa propre recette secrète, tout comme sa mère ou sa belle-mère. Au Mexique son « pozole » et à la Pologne son « bigos ». C’est une potée, mais sa préparation exige pas mal de travail.
Le « bigos » n’est rien d’autre que du chou aigre cuit avec de la viande et des épices. Tout simplement, comme ça. Mais une telle description peut être trompeuse. Pour des Français, même le nom peut induire en erreur. Très souvent, le « bigos » est décrit comme une « choucroute ». Cette équivalence est impropre. Il ne ressemble en rien à cette autre, excellente, spécialité alsacienne qu’adorait le commissaire Maigret dans les romans de Georges Simenon.
Tout d’abord, le chou est aigri en Pologne autrement qu’en France. Sa fermentation s’opère dans des barils de chêne avec une grande quantité de sel. On n’y ajoute pas de vinaigre (en France d’ailleurs, le vinaigre n’a fait son apparition qu’avec la production industrielle, car il accélére la fermentation). Ce chou conserve son goût, son acidité et son parfum. Ce moyen de fermentation du chou est très ancien en Pologne et les premières mentions écrites remontent au XIVème siècle. On le mange alors cru ou cuit avec des pois. C’est à peu près de la même époque que datent d’autres références à des usages de la gastronomie royale ou princière qui voulaient qu’après les festins d’apparat on rassemble les restes des viandes puis qu’on les jette dans une même marmite et qu’on les mélange à du chou aigre. Car « bigos » signifie en polonais le mélange, ou les restes posant des problèmes. Apparaît ici une analogie avec le mot arabe baqaella, bayela « les restes », qui désignait l’habitude des serviteurs de rassembler les reliefs des festins d’Andalousie. Cette étymologie a une concurrente : le latin « patella », qui a dénommé la « poêle » dans de nombreuses langues. Ces restes étaient ensuite sautés avec du riz et dégustés. Au fil des années, on y ajouta du safran, des crevettes et des poivrons, ainsi que ce style spectaculaire de cuisson sur une grande poêle qui donna naissance à ce fétiche touristique qu’est la « paëlla ».
Le Bigos a connu en Pologne une longue évolution. Avec le temps, à la viande – naturellement, se sont associés les champignons des bois, le jambon ou le saucisson, la poitrine fumée, les pruneaux, les raisins secs et le vin rouge. On y a ajouté aussi du gibier. Le « bigos » est un plat très parfumé, empli d’odeurs de forêt, de viande rôtie, de champignons et d’herbes, ainsi que de pruneaux. C’est un plat splendide qui agit sur les sens. On ne peut en dire autant de la « choucroute » où les charcuteries ne se mêlent pas au chou lui-même. Telle est la différence. Le bigos est une quintessence de la nature polonaise – de ses forêts intactes peuplées de gibier et de champignons, des potagers et des champs de Pologne, de la richesse de ses rivières et de ses lacs. En un mot, c’est le plat polonais le plus éclatant et le plus noble.