La « Mizeria », c’est en vérité bien peu de chose. Sa préparation dure deux, trois minutes. Elle est banale dans sa simplicité. Mais pour Dieu sait quelle raison, elle est devenue culte en Pologne. Ce n’est pas un plat, c’est une sorte de salade, un accompagnement pour les viandes, pour un plat principal, ou encore un hors-d’œuvre. Sincèrement, ce n’est rien. Et pourtant, Melchior Wańkowicz (1892-1974), éminent écrivaien polonais, considérait la « Mizeria » comme un symbole du repas polonais. Comme un symbole de l’été polonais. Melchior Wańkowicz est un écrivain surprenant. Il a décrit les grandes batailles polonaises de la Seconde Guerre mondiale : Westerplatte comme Monte Cassino. Il a aussi écrit des livres que » connaissait jadis chaque famille polonaise. Sur l’émigration polonaise, sur l’identité polonaise en général. Sur ce qu’est la Pologne, sur ce qu’est son souvenir, sa saveur et ses parfums. Il a écrit sur de grandes choses, sur les héros de leur temps, mais il a aussi écrit sur de petites choses, des broutilles, ces miettes de la vie. Car pour Wańkowicz, être polonais se manifestait justement dans de petites choses. Il a décrit ainsi le déjeuner polonais d’avant-guerre. Tel qu’il était mangé à la table d’un hobereau, dans un village de la Pologne profonde, à l’Est. C’étaient des pommes de terre nouvelles cuites à l’eau, arrosées de beurre et parsemées d’aneth, un poulet rôti et, justement, une Mizeria. Alors, qu’est-ce que la Mizeria : ce sont tout simplement des concombres frais avec de la crème et des pousses d’aneth. Il convient de couper les concombres, une fois épluchés, en tranches fines, de les laisser dégorger afin qu’ils rendent leur eau. On jette alors ce jus. Puis on cisèle sur les concombres de l’aneth et on ajoute de la crème épaisse. On mélange soigneusement. C’est tout. Encore un peu de sel, du poivre et c’est sur la table ! Toute une philosophie. La simplicité.
Et pourtant, cette banale salade s’est installée dans la cuisine polonaise de façon très durable. Elle convient parfaitement au rôti de porc, au filet ou à la dinde. Et aux pommes de terre nouvelles. Mais en fait, elle convient à tout. Elle est présente sur chaque table, dans chaque restaurant. Elle est si « polonaise » qu’elle aurait pu être inscrite à l’inventaire de l’héritage immatériel.