Pour la majorité des Français, le « Roi Stanislas » est exclusivement Stanisław Leszczyński, rénovateur de Nancy, bienfaiteur de la Lorraine et beau-père de Louis XV. Stanisław Leszczyński fut aussi à deux reprises roi de Pologne. Mais pour les Polonais, le « Roi Stanislas » est par-dessus tout le dernier souverain de la Pologne, Stanisław Poniatowski (1732-1798). Ils l’associent à la Constitution du 3 mai 1791, à la Tsarine Catherine II et à l’histoire embrouillée des partages de la Pologne entre l’Autriche, la Prusse et la Russie.
Le Roi Stanisław, pendant son règne, donnait le jeudi des déjeuners pour l’élite intellectuelle polonaise de son temps. Ces rencontres étaient l’occasion de controverses sur la politique, la littérature, la philosophie, les découvertes géographiques ainsi que sur les questions sociales.
Le Roi avait un cuisinier remarquable du nom de Paul Treno (mort en 1810). Il était réputé dans toute l’Europe de cette époque. Français né dans une famille de Huguenots exilés à Berlin, il tenait évidemment à ce que sa cuisine possède les plus grandes qualités de légèreté et de finesse.
Le Roi évitait les alcools forts. Il n’avait de goût que pour les vins. C’est lui qui introduisit l’habitude de servir de l’eau en carafes sur les tables polonaises. C’était quelque chose de complètement nouveau, tant il est vrai que la Pologne sarmate n’avait de penchant que pour les bières et hydromels forts, en tant que « boissons » accompagnant la vodka.
Le cuisinier Treno fut le créateur de nombreuses recettes qui se sont conservées jusqu’à aujourd’hui. Il composa les menus des déjeuners du jeudi afin que les discussions philosophiques et littéraires y trouvent un support subtil. Les déjeuners du jeudi étaient en effet l’arrière-plan de discussions, mais aussi de récitation d’œuvres, de plaisanteries et d’anecdotes. C’est pourquoi, bien qu’on servît à table des mets nombreux et variés, c’était délibérément en quantités modérées. Le Roi Stanisław Poniatowski adorait le mouton, mais mariné et peu gras. Treno servait des pâtés de gibier et de volaille. Sa spécialité était le « barszcz aux oreillettes » (barszcz, ou borchtch, z uszkami, sorte de petits raviolis aux farces variées). Ce cas est remarquable, car le cuisinier français adorait le barszcz, soupe préparée avec des betteraves rouges aigres. Une soupe tout ce qu’il y a de polonais, souvent servie pour Noël. Hélas, en dépit de l’abondance des betteraves, ce plat ne connut pas en France le succès. En visite en Pologne, commandez donc un barszcz aux oreillettes en ayant à l’esprit non seulement les traditions de la table polonaise, mais aussi les disputes savantes du dernier roi.